Christian nous a surprises, Marie Blanche sa compagne et moi, en train de nous entretenir dans la salle à manger sur le dit “combat de la Nerthe”.
Il est ressorti par la même porte sans un mot et ressurgit maintenant du garage avec le tableau.

D’une main il le soutient délicatement contre son ventre de l’autre il pointe les détails de l'huile.

“Voyez, donc en fait tout ca, ils ont coupé là, et toutes ces parties boisées ici ont été ensevelies, et surtout il y avait en haut à gauche, là en vert, les zones humides marécageuses avec des roseaux et les crapauds protégés qu’ils ont remblayées ; les mares elles ont été déplacées ici et là, celle‑là n’a jamais fonctionné mais ici il y a bien eu des crapauds ; le niveau, bleu, de l'eau, a monté depuis, on ne voit plus ces plages claires ici ; les gens entraient par là, de là où vous êtes, ils descendaient les voitures en passant derrière ces arbres au premier plan. L’eau était claire.”

Comprenez.

Depuis six mois, nous descendons à pied le Massif de la Nerthe : 25 km de roche calcaire chaotique qui bordent le nord de Marseille.
À ses pieds la mer grise ce matin, et le port de l’Estaque, à son sommet les vues majestueuses sur la Méditerranée horizon brumeux et cargos en attente, les îles comme de gros cailloux baignant, la luminosité du ciel qui écrase (et creuse de bleu les ombres), la sauvagerie des vallons, cimetières de carcasses de voitures brûlées puis rouillées, les bruits de la montagne indistincts longtemps après ceux fantômes de la ville, et l’odeur du romarin foulé, les palombes qui s’envolent sous nos pas, les chênes kermès qui déchirent les mollets, les lapins qui s’échappent, les pommettes qui rougissent de soleil.

Il faut depuis le centre ville traverser les quartiers Nord. Ou emprunter l’autoroute aérienne, A55, qui surgit puis survole, fluide, souple, ces quartiers à la réputation sulfureuse et à l’indigence indéniable. Sous les viaducs se cachent ou s’abritent les détails de toutes sortes de misères, mais là, au dessus, émancipée des bas fonds défilante extraite de toute autre réalité vulgaire, de part et d’autre de la voie, s'étale la puissance suspendue des grands espaces.
Le paysage y est dépourvu d’humaine figure, l’œil plein glisse d'un geste élégant de la mer immense ce matin à la solide montagne, de la solide montagne à la mer immense ce matin, de la mer immense ce matin à la solide montagne.

Je crains toujours ici le syndrome de Stendhal, émotion forte au regard d'une œuvre d’art, qui me ferait filer fébrile à travers les fragiles rambardes, mourir droit dans cette mise en scène.
"Puisque tout ici est si immense,
Que je me sens si petit
tout
semble exister de façon tellement plus
Intense que mon pauvre être,
Que tu m'appelles incessamment,
dans chaque particule du monde
Puisque,
je cède, je fonce, je me fonds.
Adieu, Bonjour.”




A. dit le chef et
le chef dont on a pris les empreintes de main dans la terre dit faut savoir lire dans la maçonnerie ; ici un chef d’oeuvre de ferronnerie : pas une seule soudure, c’est la prison, mon oncle meurt de la bauxite enfin de l´amiante des joints qu’il a meulé pendant 40 ans. A. prends la terre blanche pour faire les mains blanches du chef et dit j’ai fait cela toute ma vie en travaillant la terre comme une pâte feuilletée. Je dis tu es d’origine tunisienne non? je dois faire le portrait de Habib le président. Elle dit oui c facile et c’est dur on le reconnaît vite mais pourtant ce n’est pas simple.

Je ne sais pas où était sa prison. Je me demande si il a gratté un truc dans le mur lui aussi, du calcaire de la Couronne en face tu sais? je sais dit le chef c’est tendre et facile à graver avec un bout de fer, bon après ils ont nettoyé mis de l’enduit, qu’est ce qu'il aurait gratté? En haut il y’a des choses dans les cellules comme des chiffres, des bâtons, et des femmes nues, un jeune homme a des larmes tatouées sur la joue quatre ou cinq et c’est beau. En bas il y’a des femmes nues aussi mais pour une ancienne guinguette avec des pagnes de bananes.

Ça c’est dans la réalité : le jeune homme aux larmes est venu à l’atelier et j’ai raconté les trucs de la pollution et des émaux, j'ai buté sur excavé, le mot. Les jeunes hommes, je n’ai pas vu de filles dans le groupe, et parfois il y en a oui, les jeunes hommes parlaient derrière et je leur ai dit de sortir svp s’ils m'écoutaient pas puis j’ai confondu Blancarde et Bricarde cette idée d'appeler deux endroits si loin de façon si semblable j'ai eu l' air con ça a apaisé l’ambiance. Bon ils ont bien vu qu'en fait je parlais des carrières et de la matière et du capitalisme et de la magie et je montre, touche touche, ah oui d’accord. Ouais ouais on comprend mieux avec les mains des fois je rajoute n' est ce pas? je déteste maintenant avoir dit n' est ce pas, des mains tout le monde en a, enfin la plupart, et je déteste avoir dit ça aussi. Le mec un autre me présente son poing et je check. Approbation.




Je raconte ensuite :
Mon amie Jeanne M. m’invita un jour à performer dans son exposition et je lui répondis que je préférerais être une partie de son décor.
Comme designer et performeuse, j’accorde plus de confiance aux objets et aux gestes qu’aux mots pour dire quelque chose. j’ai dit.

Portant un large tissu de ce que je compris être une peinture paysagère de sexe féminin, je me déplaçais en transversale et en arrière plan de la performance, glissant comme le fantôme d’un chevalet derrière le paysage. Heureuse et fière de supporter Jeanne et consciente de l’ambiguïté de ma position avec le fait que je n’ai rien de personnel à dire à propos du sexe féminin.

En février dernier, je préparais un film de science-fiction à propos du (des) paysage(s) disparu(s) dans le feu. La veille de mon départ vers les montagnes brûlées pour faire des interviews et shootings, je me suis moi même brûlée sérieusement avec de l’eau et me suis retrouvée brutalement à l’hôpital où je restais un mois et demi en chambre stérile, isolée du monde et de sa matière devenue dangereuse.

Je ne pouvais rien faire de mon corps que le laisser sur un lit regarder par la fenêtre attendre. Les infirmières prirent l’habitude de répéter que ce corps brûlé était devenu le premier rôle de mon film. La morphine me fit réaliser que les paysages de montagnes avaient en effet fusionné avec ma jambe.

Au bout du lit les trois docteurs debout m’expliquèrent que les objets magiques étaient susceptibles de mieux me protéger que les médicaments en ces temps de crise économique. Et je compris cela comme un encouragement à ma pratique de céramiste.

À la sortie de l’hôpital m’attendait P. sur la voiture adossé. Sa beauté, sa solidité physique, la violence contenue en tempête derrière ses yeux et ses mains, pour me soutenir, il les retirait vivement de mon visage disant tu brûles encore, pardon, je suis un con. Je te ramène chez toi.

And it’s not just about love elle chante it’s about the things, the place, the materials you belong to.





LOUISE NICOLLON DES ABBAYES
vit et travaille à Marseille,
est diplômée de l’École des Beaux Arts de Nantes et de l’Université d’Aix-Marseille en sciences politiques et analyse du paysage.

Utilisant la sculpture, la photographie, la performance et le récit, elle imagine et éprouve des protocoles transdisciplinaires, expérimentaux intimistes et collaboratifs qui sont autant de façons d’investir, analyser et commenter un territoire que de lui renouveler des formats de représentation artistique.

La matiére premiére, minéraux et végétaux, motifs, formes, champs lexicaux, mémoires, savoir-faire et anecdotes, est empruntée au paysage, à ses événements et à ses habitants au cours de longues explorations, entretiens ou ateliers collectifs. Les carnets d’expérimentations, carnets de bord et photographies documentaires nourrissent la mise en récit des investigations, recherches et découvertes.

La démarche ne se désolidarise pourtant pas d’une fonction décorative de l’objet, ni même utilitaire, domestique, ou magique mais remet en jeu les rapport homme/nature/culture dans un environnement contemporain décidément complexe.



***ACTUALITÉS***
°Lauréate des ateliers 2024-2025 de la ville de Marseille
°Résidence de recherche automne 2024 aux Capucins, centre d'Art à Embrun
°Résidence de production à La Citadelle, Marseille



///CONTACT///


image
image

HOLES AND HILLS HEAL

Comment, pourquoi, à quel propos, avec qui,
utilisant quelle(s) énergie(s), expérimentant quelles émotions, devrions nous creuser collectivement un trou dans l’asphalte ?


Pendant une semaine,
invité.es par le Festival Parallèle (Marseille),
Anne Lise Le Gac (Okay Confiance), Leonardo Delogu et Valerio Sirna (from collectiv DOM_) et moi, proposons cette action comme une pratique somatique entrelacant explorations, partage et collectes de récits, apprentissage de techniques et théories des humanités écologiques.

*avec les étudiants de la FAIAR et de l'École des Beaux Arts de Marseille, , Lieux Publics et la Cité des Arts de la Rue

Marseille 2024

image
image

MARSEILLE 5 VIEWS

Exploration de la matière des paysages industriels marseillais au travers la fabrication d’un nuancier d’émail
où fusionnent ce qui relève de l’industriel, du sauvage, du minéral et du végétal, des activités humaines et des phénomènes géologiques.


Les matières, textures, couleurs et motifs utilisés sont les résultats d’explorations, enquêtes et collectes de récits et «matériaux de rencontre» sur cinq sites industriels et post‑industriels marseillais, lieux des exploitations du calcaire, du plomb, de la soude, du sel, de l’argile et de la bauxite.

Ils composent un nuancier utilisé à la représentation de ces paysages sous la forme d’une série de tableaux et bas‑reliefs.

*en collaboration avec le, LPED, Laboratoire Population Environnement Développement, d’Aix Marseille Université, Hôtel du Nord, Yes we camp

Marseille 2022-2024

image

image précédente

MARSEILLE 5 VIEWS
SPRING IS BACK
Panneau de céramique
support métal et bois
à partir des matiéres collectées
sur un ancien site d'exploitation du plomb
70 x 110 cm

MARSEILLE 5 VIEWS
Dépot de déchet de traitement de la bauxite
Marseille 2021

image

MARSEILLE 5 VIEWS
LE LAC
Panneau de céramique
support métal et bois
à partir des matiéres collectées
sur un ancien site d'exploitation de la bauxite
70 x 110 cm
Marseille 2023

image

MARSEILLE 5 VIEWS
Recherche d'émail
sà partir des matières collectées
sur les anciens sites industriels de Marseille
Marseille 2022

image

MARSEILLE 5 VIEWS
LA MONTAGNE
Panneau de céramique
fonte de métal support métal et bois
à partir des matiéres collectées
sur un ancien site d'exploitation du ciment
70 x 110 cm
Marseille 2023

image

MARSEILLE 5 VIEWS

Collecte des poussiéres
voletantes des camions sortant des usines de Lafarge
Marseille 2021

image

CARAFONS!

premiére collection d’un principe d’invitation curatoriale.


Chaque année, il s’agit de créer un émail réunissant une typologie de céramique utilitaire commandées à une vingtaines d’artistes et (exposées) utilisées lors d’un grand repas publics.
Cette année-ci l’émail provenait des cendres d’un carnaval anarchiste marseillais et la forme demandée était la carafe.

*crédit photo Sophie T.Lvoff

Marseille 2022

image

CARAFONS!
Collecte des cendres d’un carnaval anarchiste marseillais
Marseille 2022

image

CARAFONS!
*Maël Gros / Audrey Ballachino
Grès et émaux de cendres de carnaval
de Louise Nicollon des Abbayes
Marseille 2022

image

CARAFONS!
*Maël Gros / Audrey Ballachino
Grès et émaux de cendres de carnaval
de Louise Nicollon des Abbayes
Marseille 2022

image

LA CITADELLE

Recherche sur les mémoires négligées d’un ancien fort militaire.

Le lieu accueille chaque jour une centaine de salariés en insertion avec lesquels nous avons travaillé à la mise en forme d’une maquette subjective du site, explorant les matières, formes, architectures, savoir-faire et mémoires qui le composent.

Durant quatre mois nous nous sommes invités les uns les autres dans nos ateliers et nos pratiques (céramique, taille de pierre, maçonnerie, ferronnerie) pour confectionner un ensemble de sculptures qui, assemblées, composent une maquette du fort.

Collectes et identification de matières uitilisées dans la construction du fort, fabrication d’un nuancier d’émail à partir d’échantillons de sols pollués, de cendres de végétaux et de matières de travail, estampages de motifs, recueil et modelage des mémoires, coffrage et fabrication de mortiers, taille de pierre et fabrication de calade composent les gestes de cette maquette.

* en collaboration avec Acta Vista, Bao Formation, avec les étudiants du LPED, Laboratoire Population Environnement Développement, d’Aix Marseille Université

Marseille 2023-2024

image


LA CITADELLE
Collectes de matériaux utilisés à la restauration du site avec Actavista
Marseille 2022

image

LA CITADELLE_volet 1
Panneau de céramique
support métal et bois
à partir des matiéres collectées
sur le site du Fort Saint Nicolas
80 x 110 cm
Marseille 2023

image

LA CITADELLE
PAYSAGE
(fragments)
la justice le pardon ou la caresse
grés noir et blanc, émaux de cendres et matiéres collectées sur site,
cuisson électrique,
10 x 20 x 37 cm

LA CITADELLE
PAYSAGE
(fragments)
SECTION 2
calcaire taillé par ISSIDOU Y.,
tesson issu de la recherche d’émail à partir de sol pollués collectés sur site avec le LPED
10 x 20 x 23 cm
Marseille 2022

image

LA CITADELLE
PAYSAGE
(fragments)
la justice le pardon ou la caresse
grés noir et blanc, émaux de cendres et matiéres collectées sur site,
cuisson électrique,
10 x 20 x 37 cm

LA CITADELLE
PAYSAGE
(fragments)
SECTION 2
calcaire taillé par ISSIDOU Y.,
tesson issu de la recherche d’émail à partir de sol pollués collectés sur site avec le LPED
10 x 20 x 23 cm
Marseille 2022

image

DESORDRES

La série de piéces DÉSORDRES modelée dans du grés noir à quatres mains et émaillées aux cendres de l’incendie du Mont D’Arrée (merci Romain Kloeckner pour la collecte) est disséminée aux quarante-quatre coins de l’exposition de Yoan Sorin.


Elle est le support à une performance commune nommée L’ÉCHO DES CENDRES et activée à plusieurs reprises au grés des invitations.

* 3BIS F centre d’Art contemporain d'Aix en Provence

Aix en Provence 2023

image

DÉSORDRES
Grès noir modelé à quatre mains avec Yoan Sorin
et émaillés aux cendres
collectées lors de l'incendie du Mont d'Arrée,
appartient à la série des instruments à vent ici exposée dans l'exposition de Yoan Sorin
au 3BisF, centre d'art
Aix en Provence 2023

image

DÉSORDRES
Grès noir modelé à quatre mains avec Yoan Sorin
et émaillés aux cendres
collectées lors de l'incendie du Mont d'Arrée,
appartient à la série des Visages et Urnes ici exposée dans l'exposition de Yoan Sorin
au 3BisF, centre d'art

Aix en Provence 2023

image

POTIER.ES MARSEILLE NORD

Projet d’installation d’un atelier de céramique et four à bois coopératifs, exérimental et, à terme, autonomes, dans un jardin partagé des quartiers nord de Marseille, en écho avec les actions du centre social attenant.

Tout au long de l’année, on y aborde, partage, transmet, expérimente l’utilisation des ressources locales pour une céramique urbaine, documente, fabrique, cuit des objets inspirés de la culture industrielle tuilière de ces quartiers et des savoir-faire potiers de culture maghrébine portés par les habitant.e.s.

* un projet initié avec Nathan Bonnaudet, Romain Kloeckner et Laurence Blasco-Mauriaucourt (céramiste de La Borne)
* mené depuis 2024 avec Pauline Bonnet, Andrea Moreno, Josephine Hasselin, Roseline Schneuwly, Maël Gros, Marine Klock en collaboration avec le centre social Del Rio Marseille et le jardin partagé.


Marseille 2022-2024

image

POTIER.E.S MARSEILLE NORD
Cours de cuisson au bois
*avec Laurence Blasco-Mauriaucourt
(céramiste de La Borne)
Marseille 2023

image

POTIER.E.S MARSEILLE NORD
Construction du four
*avec Laurence Blasco-Mauriaucourt
(céramiste de La Borne)
Marseille 2023

image

POTIER.E.S MARSEILLE NORD
Recherche sur les combustibles locaux
Marseille 2023

image

POTIER.E.S MARSEILLE NORD
Recherche sur les combustibles locaux
et émaux de cendres
Marseille 2023

image

POTIER.E.S MARSEILLE NORD
Fabrication d'Oyas avec les habitants et les usagers du jardin
Marseille 2023

image

POTIER.E.S MARSEILLE NORD
Recueil des savoir-faire d'origine maghrébine
Le plat de la mère d'Hakim
Marseille 2023

image

POTIER.E.S MARSEILLE NORD
Recueil des savoir-faire d'origine maghrébine
Les braseros
Marseille 2023